mercredi 9 juin 2010

HUNTER S. THOMPSON – Journaliste et hors-la-loi


HUNTER S. THOMPSON – Journaliste et hors-la-loi
Biographie de William Mc Keen, 500p. Tristram


En exergue à un des chapitres qui composent ce bouquin, on peut y lire une citation de Miller, c'était en 1945: "J'ai le malheur d'avoir été nourri par les visions et les rêves des grands américains – les poètes et les voyants. Une autre race d'homme l'a emporté".
Voyant, Thompson l'était assurément. Quand à cette autre race d'hommes qui l'a emporté, Thompson n'a eu de cesse de lui rentrer dans le lard à chaque fois qu'il le pouvait. C'est l'un des principaux enseignements de cette biographie, où sous le couvert racoleur d'un sous-titre comprenant le putassier "hors-la loi", on a à faire au contraire à un homme finalement beaucoup plus moral qu'il n'y paraît, beaucoup plus en tout cas que le personnage caricatural qu'il a créé et qui s'est finalement refermé sur lui. Ce personnage, c'est le défoncé permanent, le Raoul Duke de Las Vegas Parano; le sujet principal de ses compte-rendus journalistiques en est l'auteur, plus que le sujet originel lui-même qui passe en second plan; une écriture journalistique du nom de Gonzo qu'il a inventée. Pas que Thompson était un saint, il dézinguait tout ce qu'il pouvait avec ses armes à feu dans son bunker à Aspen, il a sûrement du essayer tout ce qui se faisait comme dope au cours de sa vie, le tout mixé à des quantités océaniques d'alcool – un chapitre s'appellera d'ailleurs Un miracle génétique - mais il avait quelque chose qui l'animait plus que les autres... Il avait un vrai dégoût pour ce que les Etats-Unis était en train de devenir, une haine profonde pour Nixon, qui restera pour Thompson le même fils de pute une fois mort quand beaucoup retourneront leur veste et détestait de manière viscérale l'hypocrisie et la malhonnêteté qui régnait dans la vie politique américaine de l'époque, comme si ça pouvait avoir changé depuis. Je crois vraiment que nous nous dirigeons vers l'apocalypse – l'effondrement, la honte totale et l'impuissance du Rêve Américain, écrivait-il déjà en 1972.
William Greider qui a côtoyé Thompson disait de lui: Il fallait une sincérité délirante pour se comporter comme il le faisait, écrire comme il le faisait.
Parce que bien avant d'être le défoncé et halluciné célèbre que tout le monde s'arrachera, Thompson était un écrivain, un putain de vrai écrivain, qui avait trouvé sa voie (écrivez-le aussi voix), son ton, son style après de multiples impasses, de grand moments de doutes, de besogne et d'abnégation puisque c'est le mot. Le travail avant tout. Thompson était un bosseur furieux. C'est ce que ce livre raconte à merveille, les années de formation, de dèche ("j'ai vingt-sept ans, je suis marié, j'ai un fils, pas un sou, beaucoup de tickets du mont-de-piété, je lutte contre l'expulsion, etc. Je crois que vous avez déjà entendu cette histoire", écrivait-il sollicitant une bourse). Il dit aussi la façon dont il s'est retrouvé emprisonné à l'intérieur de ce personnage gonzo, les difficiles années 90 où ses papiers ressemblent plus à du radotage qu'autre chose, et son suicide – où en fauteuil roulant, Thompson se sentait trop frustré et incapable de rien pour pouvoir continuer. Il ne serait plus le gazier tutoyant Ali, fuyant Saïgon, assistant à un colloque sur la drogue plus défoncé que jamais.
William Mc Keen livre ici un bouquin passionnant, à la documentation fournie et étayée, sans jamais se faire happer par le personnage public que Thompson était devenu. Il nous fait au contraire approcher le Thompson privé, un gentleman, encore une fois beaucoup plus raffiné, sombre et lumineux que son image publique, sans toutefois parvenir à totalement éclairer le génie de cet illuminé là... Quels biographes des grands hommes le peuvent-ils de toute façon?



Il restera de Thompson ses livres, ses papiers journalistiques et ses lettres, et il est douloureux de constater à la lecture de cette biographie combien Thompson aura été peu traduit en français jusqu'à maintenant. Las Vegas Parano, Hell's Angels, The Rhum Diary et sa correspondance seulement. Une absence de traductions qui aura de quoi rendre circonspect le lecteur de ce livre au vu de toutes les perles totalement inconnues de ce côté-ci de l'Atlantique; la bonne nouvelle étant ceci dit que Tristram bosse sur un projet qui réunira l'ensemble (ou le meilleur) de ces inédits sous la forme de 4 tomes.
Mais s'il y a un truc qui me turlupine bien chez Thompson, c'est: est-ce que putain, si il devait débarquer maintenant, en 2010 ou 2011, est-ce qu'on le laisserait seulement parler? Est-ce que seulement 10% de ce qu'il a pu faire ou écrire sera publiable et faisable aujourd'hui sans que toute une bande de pisse-froids ténébreux et empoussiérés ne sortent de leur cabane pour jouer les donneurs de leçon, ces irréprochables bonimenteurs plus proches de la mouche à merde que de l'être humain? Je n'ai qu'une chaîne de télé chez moi, ça ne capte que ça, France 3, et donc dans l'émission de Taddéi à 23 heures en semaine, voilà le débat-bilan des années 2000-2010, toute une flopée d'invités, tout ce petit monde papote, mais aucun ne lâche le mot qui moi me semble résumer cette période, et c'est crispation... C'est à dire que je trouve quand même les choses comme sans cesse plus tendues, les gens souvent plus à cran, plus pressés, avec une sensation de restriction de libertés de plus en plus tenace, ténue... Il y a un climat plus lourd et je ne sais pas si l'arrivée d'un gazier comme Thompson au milieu de tout ce cirque détendrait un peu l'atmosphère, ni même si elle est tout bonnement possible... Imaginerait-on une seconde un Thompson local avec sa baignoire remplie de glaçons pour y rafraîchir des bières à l'arrière d'un bus qui suivrait la campagne de l'UMP pour la présidentielle de 2012, comme il l'a fait pour l'élection de Nixon dans les années 70? Et surtout quel magazine ou journal aurait les moyens financiers d'assumer les pitreries d'un tel énergumène aujourd'hui? Si je crains qu'il ne faille répondre à ces deux questions par la négative, elles n'en rendent pas moins la nécessité de voir réapparaître un gazier du même tonneau, forcément cramé pour foutre le feu à un monde à sang.
Comme n'importe quel mec avec suffisamment d'envergure, Thompson présente milles facettes différentes et c'est bien évidemment selon la sensibilité de chacun qu'on arrivera de toute façon à se reconnaître au moins dans l'une d'entre elles. Mais il y en une plus que toute qui doit le résumer, c'est celle de l'intégrité, de l'honnêteté.
Cité au tout début du bouquin, Absolutely Sweet Marie de Bob Dylan:
Pour vivre en dehors la loi, il faut être honnête.

mercredi 2 juin 2010

The Wildhearts – Chutzpah!


The Wildhearts – Chutzpah!
Cargo rds

Je suis régulièrement revenu dans les anciens numéros sur la carrière discographique des Wildhearts en insistant sur la qualité souvent en dents de scie des albums des anglais pour finalement arriver à dire que les deux ou trois dernières sorties semblaient s'être affranchies de cette règle et de pas mal de tares à son origine qui détruisaient le combo, dont les problèmes de drogue et les tensions à l'intérieur du groupe qu'ils généraient n'étaient pas les moindres. Il résultait donc logiquement de ces derniers disques une atmosphère positive qui prenait le pas sur les ambiances agressives ou hargneuses de pas mal de productions précédentes: un vent nouveau soufflait dans les voiles des Wildhearts dont on sentait un bien-être et un plaisir de vivre retrouvés, ce à quoi la paternité du maître à penser du groupe, Ginger, n'était sans doute pas étrangère. Pour autant, avec pas loin d'une dizaine d'albums dans la besace, on était comme prévenu que les suites logiques dans leur discographie n'était que pure fantasme. Ici, au contraire, la suite est logique, très logique, trop peut-être même. Les mecs sont à nouveau bien dans leur peau comme je l'ai dit et ont retrouvé du plaisir à jouer ensemble, mais les Wildhearts adeptes à tous égard du grand écart – tant à l'intérieur d'un morceau que d'un album à l'autre – tombent cette fois-ci dans l'excès inverse: celui de mecs à la limite du «trop à l'aise», cet état d'esprit du bienheureux qui papillonne autour de vous, toujours à la limite de vous casser les couilles avec son air béat, s'oublie et fait n'importe quoi. Ce qui nous donne un Chutzpah! - vieux terme hébraïque se référant à l'audace, au fait d'oser – où précisément les Wildhearts osent, quitte à presque se dénaturer eux-mêmes, balançant des morceaux types gros hard-rock FM à la limite de Bon Jovi, merde quoi! C'est le cas du single choisi pour cet album – the Only One – que je considère comme le morceau le plus indigeste de l'album, et il y en a quelques-uns comme ça, Plastic Jesus entre autres.
Je retrouve heureusement les Wildhearts que j'aime sur le reste de l'album, celui d'un croisement -parfois sans mélange! -pop et heavy rock, bubble-gum-power-pop vs metal, avec ses mélodies et ses lignes de chants généreuses et entêtantes, ses chœurs au poil, ses riffs de barbus et ses refrains de midinettes, et une batterie omniprésente au volume de jeu jamais encore entendu comme ça chez eux... Quelques tubes insurpassables dans cet album – the Jackson Whites en tête, You took the sunshine fron New York,Tim Smith, Chutzpah qui clôture l'album dans un final surgonflé de mélodies d'émotions typiquement Wildheartsiennes... Rien que pour ça cet album vaut le coup. Pour autant la riffothèque de Chutzpah! est sensiblement moins fournie que pas mal de vieux albums, disons qu'ici les anglais se sont surtout ingéniés à écrire des chansons d'une durée «normale» et à ne plus vraiment faire durer la chose au delà de quatre minutes trente, un parti pris dommageable qui les éloigne d'une de leur singularité, celle de la qualité que peuvent atteindre certaines pépites de huit ou neuf minutes, je pense notamment à Rooting for the bad guy. La production ultra-synthétique de Chutzpah – pour une fois j'adore ce genre de prod' - ne devrait pas détourner des Wildhearts les oreilles les plus sensibles qui viendraient s'y intéresser la première fois, quant aux autres, elles ne pourront que sourire de l'énième tour de passe-passe que leur offre cet album; un Wildhearts différent, un Wildhearts surprenant, un Wildhearts généreux, un Wildhearts déroutant parce qu'un nouveau Wildhearts, c'est à chaque fois un paquet cadeau dont on ne sait jamais à l'avance ce qu'il contiendra, ce sera du Wildhearts - mais lequel ? - c'est ce qui rend ce groupe si intéressant, si définitivement à part, si addictif, si unique. Chutzpah way of life!