samedi 6 novembre 2010

I HATE PEOPLE #5 OUT NOW

NOUVEAU FANZINE DISPONIBLE


64p. A4 avec retour sur les Big Boys et des interviews de John King, Boss Tuneage, Irradiates, Hellbats, Dead Pop Club et 13eme Note éditions.

Commande 5,50€ port compris ici:




Fanzine seul ou plus





mercredi 9 juin 2010

HUNTER S. THOMPSON – Journaliste et hors-la-loi


HUNTER S. THOMPSON – Journaliste et hors-la-loi
Biographie de William Mc Keen, 500p. Tristram


En exergue à un des chapitres qui composent ce bouquin, on peut y lire une citation de Miller, c'était en 1945: "J'ai le malheur d'avoir été nourri par les visions et les rêves des grands américains – les poètes et les voyants. Une autre race d'homme l'a emporté".
Voyant, Thompson l'était assurément. Quand à cette autre race d'hommes qui l'a emporté, Thompson n'a eu de cesse de lui rentrer dans le lard à chaque fois qu'il le pouvait. C'est l'un des principaux enseignements de cette biographie, où sous le couvert racoleur d'un sous-titre comprenant le putassier "hors-la loi", on a à faire au contraire à un homme finalement beaucoup plus moral qu'il n'y paraît, beaucoup plus en tout cas que le personnage caricatural qu'il a créé et qui s'est finalement refermé sur lui. Ce personnage, c'est le défoncé permanent, le Raoul Duke de Las Vegas Parano; le sujet principal de ses compte-rendus journalistiques en est l'auteur, plus que le sujet originel lui-même qui passe en second plan; une écriture journalistique du nom de Gonzo qu'il a inventée. Pas que Thompson était un saint, il dézinguait tout ce qu'il pouvait avec ses armes à feu dans son bunker à Aspen, il a sûrement du essayer tout ce qui se faisait comme dope au cours de sa vie, le tout mixé à des quantités océaniques d'alcool – un chapitre s'appellera d'ailleurs Un miracle génétique - mais il avait quelque chose qui l'animait plus que les autres... Il avait un vrai dégoût pour ce que les Etats-Unis était en train de devenir, une haine profonde pour Nixon, qui restera pour Thompson le même fils de pute une fois mort quand beaucoup retourneront leur veste et détestait de manière viscérale l'hypocrisie et la malhonnêteté qui régnait dans la vie politique américaine de l'époque, comme si ça pouvait avoir changé depuis. Je crois vraiment que nous nous dirigeons vers l'apocalypse – l'effondrement, la honte totale et l'impuissance du Rêve Américain, écrivait-il déjà en 1972.
William Greider qui a côtoyé Thompson disait de lui: Il fallait une sincérité délirante pour se comporter comme il le faisait, écrire comme il le faisait.
Parce que bien avant d'être le défoncé et halluciné célèbre que tout le monde s'arrachera, Thompson était un écrivain, un putain de vrai écrivain, qui avait trouvé sa voie (écrivez-le aussi voix), son ton, son style après de multiples impasses, de grand moments de doutes, de besogne et d'abnégation puisque c'est le mot. Le travail avant tout. Thompson était un bosseur furieux. C'est ce que ce livre raconte à merveille, les années de formation, de dèche ("j'ai vingt-sept ans, je suis marié, j'ai un fils, pas un sou, beaucoup de tickets du mont-de-piété, je lutte contre l'expulsion, etc. Je crois que vous avez déjà entendu cette histoire", écrivait-il sollicitant une bourse). Il dit aussi la façon dont il s'est retrouvé emprisonné à l'intérieur de ce personnage gonzo, les difficiles années 90 où ses papiers ressemblent plus à du radotage qu'autre chose, et son suicide – où en fauteuil roulant, Thompson se sentait trop frustré et incapable de rien pour pouvoir continuer. Il ne serait plus le gazier tutoyant Ali, fuyant Saïgon, assistant à un colloque sur la drogue plus défoncé que jamais.
William Mc Keen livre ici un bouquin passionnant, à la documentation fournie et étayée, sans jamais se faire happer par le personnage public que Thompson était devenu. Il nous fait au contraire approcher le Thompson privé, un gentleman, encore une fois beaucoup plus raffiné, sombre et lumineux que son image publique, sans toutefois parvenir à totalement éclairer le génie de cet illuminé là... Quels biographes des grands hommes le peuvent-ils de toute façon?



Il restera de Thompson ses livres, ses papiers journalistiques et ses lettres, et il est douloureux de constater à la lecture de cette biographie combien Thompson aura été peu traduit en français jusqu'à maintenant. Las Vegas Parano, Hell's Angels, The Rhum Diary et sa correspondance seulement. Une absence de traductions qui aura de quoi rendre circonspect le lecteur de ce livre au vu de toutes les perles totalement inconnues de ce côté-ci de l'Atlantique; la bonne nouvelle étant ceci dit que Tristram bosse sur un projet qui réunira l'ensemble (ou le meilleur) de ces inédits sous la forme de 4 tomes.
Mais s'il y a un truc qui me turlupine bien chez Thompson, c'est: est-ce que putain, si il devait débarquer maintenant, en 2010 ou 2011, est-ce qu'on le laisserait seulement parler? Est-ce que seulement 10% de ce qu'il a pu faire ou écrire sera publiable et faisable aujourd'hui sans que toute une bande de pisse-froids ténébreux et empoussiérés ne sortent de leur cabane pour jouer les donneurs de leçon, ces irréprochables bonimenteurs plus proches de la mouche à merde que de l'être humain? Je n'ai qu'une chaîne de télé chez moi, ça ne capte que ça, France 3, et donc dans l'émission de Taddéi à 23 heures en semaine, voilà le débat-bilan des années 2000-2010, toute une flopée d'invités, tout ce petit monde papote, mais aucun ne lâche le mot qui moi me semble résumer cette période, et c'est crispation... C'est à dire que je trouve quand même les choses comme sans cesse plus tendues, les gens souvent plus à cran, plus pressés, avec une sensation de restriction de libertés de plus en plus tenace, ténue... Il y a un climat plus lourd et je ne sais pas si l'arrivée d'un gazier comme Thompson au milieu de tout ce cirque détendrait un peu l'atmosphère, ni même si elle est tout bonnement possible... Imaginerait-on une seconde un Thompson local avec sa baignoire remplie de glaçons pour y rafraîchir des bières à l'arrière d'un bus qui suivrait la campagne de l'UMP pour la présidentielle de 2012, comme il l'a fait pour l'élection de Nixon dans les années 70? Et surtout quel magazine ou journal aurait les moyens financiers d'assumer les pitreries d'un tel énergumène aujourd'hui? Si je crains qu'il ne faille répondre à ces deux questions par la négative, elles n'en rendent pas moins la nécessité de voir réapparaître un gazier du même tonneau, forcément cramé pour foutre le feu à un monde à sang.
Comme n'importe quel mec avec suffisamment d'envergure, Thompson présente milles facettes différentes et c'est bien évidemment selon la sensibilité de chacun qu'on arrivera de toute façon à se reconnaître au moins dans l'une d'entre elles. Mais il y en une plus que toute qui doit le résumer, c'est celle de l'intégrité, de l'honnêteté.
Cité au tout début du bouquin, Absolutely Sweet Marie de Bob Dylan:
Pour vivre en dehors la loi, il faut être honnête.

mercredi 2 juin 2010

The Wildhearts – Chutzpah!


The Wildhearts – Chutzpah!
Cargo rds

Je suis régulièrement revenu dans les anciens numéros sur la carrière discographique des Wildhearts en insistant sur la qualité souvent en dents de scie des albums des anglais pour finalement arriver à dire que les deux ou trois dernières sorties semblaient s'être affranchies de cette règle et de pas mal de tares à son origine qui détruisaient le combo, dont les problèmes de drogue et les tensions à l'intérieur du groupe qu'ils généraient n'étaient pas les moindres. Il résultait donc logiquement de ces derniers disques une atmosphère positive qui prenait le pas sur les ambiances agressives ou hargneuses de pas mal de productions précédentes: un vent nouveau soufflait dans les voiles des Wildhearts dont on sentait un bien-être et un plaisir de vivre retrouvés, ce à quoi la paternité du maître à penser du groupe, Ginger, n'était sans doute pas étrangère. Pour autant, avec pas loin d'une dizaine d'albums dans la besace, on était comme prévenu que les suites logiques dans leur discographie n'était que pure fantasme. Ici, au contraire, la suite est logique, très logique, trop peut-être même. Les mecs sont à nouveau bien dans leur peau comme je l'ai dit et ont retrouvé du plaisir à jouer ensemble, mais les Wildhearts adeptes à tous égard du grand écart – tant à l'intérieur d'un morceau que d'un album à l'autre – tombent cette fois-ci dans l'excès inverse: celui de mecs à la limite du «trop à l'aise», cet état d'esprit du bienheureux qui papillonne autour de vous, toujours à la limite de vous casser les couilles avec son air béat, s'oublie et fait n'importe quoi. Ce qui nous donne un Chutzpah! - vieux terme hébraïque se référant à l'audace, au fait d'oser – où précisément les Wildhearts osent, quitte à presque se dénaturer eux-mêmes, balançant des morceaux types gros hard-rock FM à la limite de Bon Jovi, merde quoi! C'est le cas du single choisi pour cet album – the Only One – que je considère comme le morceau le plus indigeste de l'album, et il y en a quelques-uns comme ça, Plastic Jesus entre autres.
Je retrouve heureusement les Wildhearts que j'aime sur le reste de l'album, celui d'un croisement -parfois sans mélange! -pop et heavy rock, bubble-gum-power-pop vs metal, avec ses mélodies et ses lignes de chants généreuses et entêtantes, ses chœurs au poil, ses riffs de barbus et ses refrains de midinettes, et une batterie omniprésente au volume de jeu jamais encore entendu comme ça chez eux... Quelques tubes insurpassables dans cet album – the Jackson Whites en tête, You took the sunshine fron New York,Tim Smith, Chutzpah qui clôture l'album dans un final surgonflé de mélodies d'émotions typiquement Wildheartsiennes... Rien que pour ça cet album vaut le coup. Pour autant la riffothèque de Chutzpah! est sensiblement moins fournie que pas mal de vieux albums, disons qu'ici les anglais se sont surtout ingéniés à écrire des chansons d'une durée «normale» et à ne plus vraiment faire durer la chose au delà de quatre minutes trente, un parti pris dommageable qui les éloigne d'une de leur singularité, celle de la qualité que peuvent atteindre certaines pépites de huit ou neuf minutes, je pense notamment à Rooting for the bad guy. La production ultra-synthétique de Chutzpah – pour une fois j'adore ce genre de prod' - ne devrait pas détourner des Wildhearts les oreilles les plus sensibles qui viendraient s'y intéresser la première fois, quant aux autres, elles ne pourront que sourire de l'énième tour de passe-passe que leur offre cet album; un Wildhearts différent, un Wildhearts surprenant, un Wildhearts généreux, un Wildhearts déroutant parce qu'un nouveau Wildhearts, c'est à chaque fois un paquet cadeau dont on ne sait jamais à l'avance ce qu'il contiendra, ce sera du Wildhearts - mais lequel ? - c'est ce qui rend ce groupe si intéressant, si définitivement à part, si addictif, si unique. Chutzpah way of life!

jeudi 20 mai 2010

Jerry Stahl – Mémoires des ténèbres


Jerry Stahl – Mémoires des ténèbres
13ème note - 463 p.


«Le 31 mars 1989, je me suis retrouvé dans les confins stériles des toilettes de la maternité à Cedars-Sinaï en train de m'injecter une mégadose d'héroïne mexicaine tandis qu'à une dizaine de mètres de là, ma fille se frayait un chemin le long des parois utérines de ma femme hurlante
L'homme qui vous écrit ceci n'est pourtant pas encore au fond du trou. Bien avancé dans sa chute certes, mais là, il tient encore à peu près la route. Mémoires des ténèbres relate la descente aux enfers de Jerry Stahl, scénariste miteux pour Alf quand il ne pige pas pour écrire les commentaires de photos de magazines porno. La vie rêvée quoi. Sans auto-complaisance aucune, mais avec un humour au vitriol qui suinte souvent de situations désespérantes dans lesquelles se fourre Stahl ou desquelles il tente de s'extirper (outre les relations professionnelles réellement hilarantes), Mémoires des Ténèbres ne laisse pas passer une page sans que vienne effleurer la question la plus évidente qui soit: comment ce type a pu s'en sortir?... Et surtout pour un type qui s'en est sorti, combien y ont laissé leur peau? C'est surtout ça qui marque, tant la faune de fantômes amaigris et désincarnés croisée par Stahl ne semble pas avoir plus de chance que lui de passer à travers les mailles du filet tressée par la dope. Il raconte le délabrement physique, la vie Jekyll vs Hyde qui finit par pencher totalement du côté obscur, cette partie de la populace la plus tordue que son addiction l'amène à rencontrer - dealers comme toxicos, la douleur de son addiction physique et morale, les trous noirs, l'arrivée de sa fille pour laquelle il veut décrocher par dessus-tout, les espoirs puis les rechutes en désintox' et l'espèce de miracle qui arrive lors d'une nuit des émeutes de LA qui le voit se faire sevrer sans vraiment le chercher...
Après ses dix années de défonce, Stahl dira de cette vie qu'elle a été passée à «réfuter le constat simple et agaçant que le fait d'être vivant signifie être conscient.» C'est dans ce sens qu'il n'hésite pas à employer le mot d'exorcisme pour qualifier ce livre, plutôt qu'œuvre de mémoire, et c'est effectivement ce qu'il est, cherchant à comprendre quels étaient les démons qu'ils essayait de faire taire avec la drogue, et comment il y est parvenu sans. L'écriture jouit d'une honnêteté, de tripes, et d'une âme même, à la hauteur de la tâche, détruisant sans fausse pudeur le glamour et la soi-disante coolitude de la défonce.
C'est comme ça qu'en toute fin de livre il dira: "Se shooter, c'est connaître une chaleur bienheureuse. Succès garanti. Mais le flash du papa... laisse tomber! Je n'ai jamais senti quelque chose d'aussi terrifiant! C'est d'une réalité telle que même le plaisir qu'on en prend te fend le cœur. Ce qui, à l'échelle universelle, fait une réelle différence entre l'amour de la drogue et celui de ta fille. L'héroïne peut te tuer, mais elle ne te fendra jamais le cœur. Pas comme un enfant.
Pas comme l'amour que tu peux porter à une enfant."

Sans aucun doute le bouquin le plus marquant et le plus convaincant sur la dope que j'ai jamais pu lire, le genre de livre qui me fait repenser immédiatement à la citation d'Hemigway selon laquelle certains hommes, la vie les brise et à l'endroit de la fracture, ils deviennent plus fort. Les autres, elle les tue. Stahl fait assurément partie des premiers.

mercredi 19 mai 2010

The HARD-ONS – Alfalfa Males Once Summer Is Done Conform or Die


HARD-ONS – Alfalfa Males Once Summer Is Done Conform or Die
Boss Tuneage Rds

Premier constat: les érections continuent de bander toujours aussi fort.
Deuxième constat: c'est toujours aussi bon de se les enfiler.
Troisième constat: Il n'y a qu'un seul et unique groupe comme ça.
Quatrième constat: Vite! retour au deuxième constat.
Balançant pour ce nouvel album un nom à rallonge assez mystérieux, les australiens les plus insaisissables du continent combleront une fois encore un panel de rockers extrêmement large avec ce cru 2010: en fait une espèce de synthèse en dix-neuf titres de leurs deux précédents opus enregistrés au cours d'une même session (mais sortis séparément) où les deux courants du combo se retrouvaient sur Most People are a waste of time pour la partie mélodique et sur Most People are nicer than us pour la partie heavy et braillarde. Là les deux genres se retrouvent sur la même galette à tel point qu'on se demande bien parfois si c'est le même groupe d'un titre à l'autre...
Ma préférence naturelle va du côté des titres pop, normal me direz-vous, c'est avec le fabuleux This Terrible Place que je les découvrais... Des morceaux d'une sensibilité folle qui (presque)jamais ne s'embarrassent d'intros, directement la ligne de chant, portée par des mélodies moelleuses et traînantes, la douceur de la voix empreinte d'une mélancolie légère témoigne d'une tendresse immense, souvent soutenue par des chœurs hyper inventifs et toujours nappés dans une émotion de douleur vaporeuse. Une vraie marque de fabrique qui les rend immédiatement craquant pour quiconque entend ces putains de Chansons une première fois, et j'insiste sur le terme de chansons... Un peu comme si les Smiths reprenaient les Ramones avec les guitares d'un Samiam sous Valium... Ici, comptez une demi-douzaine titres affichant cette beauté cotonneuse et fatale, dont le magistral Feisty qui ouvre cet album ou Aunty qui le clôture. Comme pour mieux encadrer, enfermer la folie du trio australien?
Le reste est en effet beaucoup plus heavy, beaucoup plus graisseux, braillard et poisseux, façon Motorhead rencontre Entombed remixé par Minor Threat eux-mêmes auparavant lobotomisés par Unsane!... C'est velu et bedonnant, tordu et grinçant, burné et hilarant, louche et inquiétant autant que crétin et festif... Bon dieu que c'est sale, mais bon Dieu que c'est bon, c'est bouillant, gueulard et souvent assez court, empli d'humour, de références, d'un esprit pour le moins atteint par moment, les titres des morceaux sont trouvés dans des sphères aux altitudes assez inatteignables pour le commun des mortels, jugez plûtôt: Keep talking, my eyes aren't completely glazed over, Tie ya mother down, Give me arse a haircut...
Ces mecs ne peuvent être que des musiciens incroyables pour donner à ce… Alfalfa Males Once Summer Is Done Conform or Die la variété et la puissance que je viens d'étaler plus haut... Les Hard-Ons sont tout simplement inclassables et brassent tout bonnement trop large pour être surpassés, sans parler qu'ils livrent par l'intermédiaire de Ray leur bassiste les pochettes d'albums les plus improbables de l'histoire du rock, ce depuis le début du groupe, ne le cherchez d'ailleurs pas autre part, le rock, le vrai, il est ici et seulement ici. Et putain, presque trente ans que ça dure!

jeudi 13 mai 2010

Flashfalcon – Voracious Appetite, Venomous Bite


Flashfalcon – Voracious Appetite, Venomous Bite
Nicotine Records


Ça fait quelques années maintenant que chaque nouvelle cargaison de mon zine revient sur les états de service de Flashfalcon et si je devais résumer l'affaire de façon saignante avec ce tout premier album ici (en cinq ans d'existence), ça serait de dire qu'ils sont passés du grade de sergent à celui de général, saut hiérarchique phénoménal sur l'échiquier du rock'n'roll que je n'imaginais pas possible concernant ces soldats simplement appliqués jusqu'alors – 2 démos cinq titres – mais manquant férocement d'audace pour aller détruire eux-mêmes des positions ennemies. L'évolution est extrêmement marquante de la part des lyonnais et laisse enfin apprécier à sa juste valeur leur terrain de jeu: un high power rock'n'roll juteux et velu aux croisement des frères d'armes Peter Pan Speed Rock et Turbonegro, Hellacopters et Dragons ou encore Nomads et Gluecifer... Les gros riffs voraces et jubilatoires cavalent à tout va sur une rythmique de mastodonte qui semble tout bonnement incapable de s'essouffler sur ces douze titres, le tout perforés de solos turgescents qui peuvent jaillir à tout moment, comme des érections soniques qui vous emmènent au bord de l'orgasme, un ensemble extrêmement bien en place exécuté avec une énergie punk contaminatrice: ah, putain, si c'est pas à ça qu'on reconnaît un bon disque! Il y a surtout ce truc chez Flashfalcon qu'on retrouve rarement mais qui sépare les galettes ultra-recommandées des autres: c'est cette sensation que le disque vous embarque du début à la fin sans vous relâcher (pensez à Motorhead ou Supersuckers ou Unsane dans un autre créneau): tout va simplement trop vite et est trop intense pour vous laisser le temps de reprendre votre souffle – auriez vous envie de sauter depuis votre Muscle Car filant à 200 km/h dans le désert d'Arizona? - et Dieu que cette sensation est bonnarde! Les Flashfacon savent ceci dit ralentir aux entournures (Last Rain) pour rappeler que rien de moins qu'American Heartbreak a son penchant de ce côté-ci de l'océan, une certaine idée du rock'n'roll mélodique qu'on retrouve tout le long de l'album notamment dans l'utilisation de chœurs généreux toujours bien placés et efficaces, chose que n'auraient pas reniés les Black Halos par exemple, prenant le relais du chant plutôt réussi sur la longueur de PacoBilly, dont la progression est là aussi marquante - dans la variété et la justesse, il est aussi moins «maniéré» par là-même beaucoup plus efficace- même si je reste réservé sur certains passages voix+basse seulement. Les lyonnais ont surtout su enfin s'offrir une production joufflue à la hauteur de leurs compositions: enregistré et mixé en France chez Johnny Cat aux Rock'on Studio d'Annecy et masterisé chez Glen Robinson à Montreal (Nashville Pussy, AC/DC, Ramones...), Voracious Appetite, Venomious Bite est une putain de franche réussite, bien au delà de mes attentes. Autant j'ai pu être critique sur leurs précédentes productions (dont on retrouve trois titres retravaillés et délicieusement méconnaissables dont le tubesque Eternal Lonesome Boy), autant désormais sentir le venin de la morsure Flashfalcon me monter au cerveau et me contrôler l'épine dorsale est la chose à la fois la plus brûlante, la plus électrisante et la plus douce qui soit. Propagez le virus.

mercredi 12 mai 2010

Jay Dobyns - No Angel


Jay Dobyns – No Angel 515p.
13eme Note

A une lettre d'un gamin impressionné par son récit sur les Hells Angels qui projettait de les rejoindre une fois le permis passé, Hunter S. Thompson lui répondait que ces bâtards étaient à oublier, qu'ils faisaient totalement n'importe quoi, qu'ils était tout sauf de quoi le môme devait s'inspirer pour mener sa vie et qu'ils étaient le contraire-même de la personnalité.
Quelques décennies plus tard, et si Sonny Barger roule désormais avec un pare-brise sur sa Harley à cause de sa trachéotomie, les Angels sévissent toujours et continuent à se livrer à des tas d'activités illégales dont le marchandage d'armes et le deal de drogue ne sont pas les moindres. C'est ce monde que Jay Dobyns va côtoyer de près, et rien à voir avec les pitreries alcoolisées et méthanphétaminées de Thompson où dès le départ ce dernier s'affichait comme journaliste, cet univers que Dobyns qualifiera à plusieurs reprises comme le seul et authentique mouvement américain de crime organisé et qu'il compte avec d'autres démontrer et faire chuter.
Dobyns est flic au sein de l'ATF, son boulot est l'infiltration, plus de vingt ans de service quand l'affaire avec les Angels débute.
Quand il commença ce boulot en 1987, après seulement neuf jours de travail - sans même que son premier salaire n'ait été versé - il eut le corps traversé par une balle au niveau du torse. Il dira de lui qu'il est le genre de mec aimant être prêt de l'action et voir au plus près jusqu'à quel point peuvent être des fils de putes ceux qu'il va faire tomber.
Pour infiltrer les Angels, il va falloir se faire accepter par eux, et ce sera par l'intermédiaire du club des Solo Angeles – un club de motos mexicain - que Dobyns et son clan de flics y parviendront, et presque au-delà de leurs espérances. De leur limites aussi, physiques, psychologiques, familiales. Sur la fin de l'opération qui durera 21 mois, Dobyns dira que si au départ il pensait infiltrer les Angels, l'effet inverse s'était produit, les Angels s'étaient infiltrer dans Jay Dobyns.
Il n'est plus l'homme qu'il était avant l'opération Black Biscuit, il est Jay ''Bird'' Davies, devenu accroc à des pilules énergisantes en plus de boire des Red Bull comme du petit lait, et se sera mis à délaisser à un point qu'il n'aurait imaginé sa femme, son fils et sa fille à mesure que la mission avance, et pour qu'elle réussisse. L'obstination – à en perdre la raison - un mot qui qualifie très bien Jay Dobyns.


Si l'infiltration est un succès, ses résultats juridiques seront un fiasco, en tout cas bien en deçà des attentes des responsables de l'opération et de Dobyns lui-même, quelques peines de prisons mais rien de vraiment significatif aux égards des activités criminelles des Angels. C'est surtout un tour de passe-passe juridique qui permet aux Angels de s'en sortir, la cour refusant de considérer comme viable les preuves apportées par Dobyns et son équipe. C'est aussi ce que No Angel raconte, la nécessité juridique de rester du côté de la loi en traînant avec des hors la loi pour ne pas remettre en cause la validité de ces pièces à conviction.
Si le livre s'arrête après ce simulacre de condamnations, la vie de Dobyns prend une autre tournure une fois que son identité de flic a été révélé aux Angels. Il reçoit des menaces de morts, sa maison est incendiée alors que sa femme et ses enfants s'y trouvent (mais pas lui, au point que le FBI fera de lui un suspect...), il change 18 fois d'adresse en deux ans et l'ATF le laisse tomber, lui qui avait décrocher tous les titres honorifiques de ce service-là.
Le bouquin est très bon, sec, solide, sans un pec de graisse, à l'image de bonhomme, qui aurait pu être une star de la NFL eut-il eu des cannes plus rapides. L'écriture ne fait pas dans le chichi, est d'une sincérité folle et finalement d'une honnêteté et d'une simplicité à l'image de la droiture et de l'intégrité de Dobyns lui-même. Un classique du genre autobiographique policier avec les choses de Serpico ou Joe Pistone (Donnie Brasco) et en tout cas le genre de bouquin qui vous laisse un goût de poussière, d'essence et de sang dans la bouche une fois terminé. Réalité 1 – Fiction 0. Respect.

A LIRE DANS LE PROCHAIN NUMERO D'I HATE PEOPLE:
L'INTERVIEW DE L'EDITEUR 13EME NOTE

mardi 4 mai 2010

The Irradiates - Audio Mental Manipluation Device


The Irradiates – Audio Mental Manipulation Device
les Productions de l'impossible . theirradiates.org
Tout d'abord l'artwork, superbe, signé Eric Kriek, un hollandais, le même qui nous avait le Flying Donuts de Renewed Attack et le Machine de NRA, un gazier habitué aux rapports entre rock et comics, le genre de type qui n'a pas besoin de plus d'infos que ça une fois l'idée directrice donnée – fifties, chercheurs fous dans le domaine cérébral – pour pondre une petite merveille de pochette collant admirablement à l'état d'esprit du disque, dont, c'est vrai, le titre annonce très bien la couleur: Audio Mental Manipulation Device. Pour autant, plutôt que d'une manipulation se faisant dans la souffrance comme semble l'indiquer cette pochette donc, c'est bien plus au contraire d'allégresse et de franche bonne humeur que ce disque vous remplira. La surf est déjà en soit un style qui n'a jamais respiré la morosité et, quand il est joué avec l'implication, l'application et la précision des Irradiates, on confine parfois au sublime – sentez donc le sourire qui s'affiche sur vos lèvres et la légèreté qui emplit votre être dès les premiers riffs! Annoncée d'entrée, l'atmosphère entourant cet album est évidemment connue des fans de surf de longue date, délire science-fiction et autres thèses conspiratrices extra-terrestres ou non... Les deux genres, cinématographique et musical, sont nés peu ou prou à la même époque, le deuxième tirant une forte influence du premier... nos serviteurs ne s'embarrassant pas à réinventer ici la roue, s'ingéniant au contraire à s'assurer de son bon fonctionnement quitte à y perdre peut-être un grain de singularité, ce que je suis loin de considérer comme un défaut du moment que les choses sont bien faites (et de quelle façon elles le sont avec AMMD!) même si je trouve que le côté instru de la surf pourrait précisément autoriser de telles expérimentations, à exploser tous les carcans, et aller transformer la roue en soucoupe!
Il n'est pourtant ici question que du premier album des bisontins, premier album s'entend de compos propres à eux, comme je place à part leur première production, le 10'' First Radiations sorti fin 2008 et fait de reprises uniquement, bien que comme le dise Mr Buanax, batteur de son état: ce ne sont pas nos morceaux bien sûr mais ils sont joués totalement dans l’esprit des Irradiates.
A savoir, une surf aux relents punk-rock assumés, des guitares généreuses mais précises, claires mais denses, une rythmique de robustes métronomes qui aiment les breaks (attentions aux tours de reins!) avec des morceaux chantés ça et là pour élargir encore la palette. Ce premier 10'' a donc été l'occasion de se (re)faire la main pour ces anciens Hawaii Samouraï (au nombre de deux ici), Ronnie Rockets et Black Summertime, le temps étant désormais venu de frapper un grand coup, mais avec ses propres armes. Pour ce faire, quoi de mieux qu'aller enregistrer à Chicago chez Albini avec un résultat pour lequel le mot de sobriété est synonyme d'équilibre parfait? L'album sur toute sa durée témoigne de la justesse idéale trouvée entre l'urgence omniprésente d'un rock'n'roll à la jeunesse toujours fougueuse et sa maîtrise plus mature; les Irradiates assènent ainsi onze titres aux atmosphères assez variées – des pures perles surf aux mélodies raffinées et ciselées dans une barre d'énergie brute, (avec (Sun Projector) ou sans cuivre(Black Tiki Procession entre autres)), des morceaux plus punk-rock chantés (Well Stated), d'autre plus lourds (DK-Ultra) – mais toujours avec le même caractère très affirmé et sans jamais se départir d'une quelconque unité d'ensemble; du boulot solide.
Avec Audio Mental Manipulation Device, les Irradiates se sont donnés les moyens de faire quelque chose de très bon et c'est toujours avec une grande satisfaction et la reconnaissance du travail bien fait qu'on accueille chez soi ce genre de productions, où le soin et la qualité apportés sont partout; du contenu au contenant – avec ce superbe LP blanc – et un état d'esprit des plus intéressants. Des mecs dans le vrai pour un disque à haute teneur psychoactive à se procurer d'urgence.

samedi 1 mai 2010

3 Headed Dog - Gospel of the Iron Groove


THREE HEADED DOG – Gospel of the iron groove.
Turborock Rds
Le genre de disque qui rappelle pourquoi le rock'n'roll est une évidence, rien de moins. Putain tout y est! Ce n'est pourtant qu'un quatre titres - EP 12'' à jouer en 45t! - et qu'une première production mais on dirait que ces trois chiens fous jouent ensemble depuis une éternité et auraient rodé leur savoir faire depuis cinq ou six albums... Il faut dire qu'on retrouve des types ayant déjà roulé leur bosse dans le combo: Vinz, bassiste des Holy Curse, pigiste chez Dimi Dero et Simon Chainsaw entre autres -, le reste a cotoyé et cotoient toujours les Fossoyeurs et les Marteaux Piquettes. Des mecs qui ont usé leurs tiags sur tous les continents et il en est un qui les a visiblement plus marqué que les autres, c'est l'Australie et sa certaine conception du swamp rock. Le disque y a d'ailleurs enregistré, au Hothouse studio de Saint Kilda, Melbourne. On retrouve la fièvre des riffs gouailleux d'un Spencer P. Jones, grinçant et mélodique à la fois, sec et ample dans le même mouvement, l'ardeur mélodique sûr de sa force d'un Johnny Casino, un mélange qui donne un rock'n'roll puissant, moite, toujours à la limite du dérapage cracra, maîtrisé quand la tension deveint trop forte... La classe... La morgue qui traîne dans les voix – tous chantent! – rajoutent beaucoup au charme de ce nouveau groupe français... Aux morceaux explosifs (les bien nommés... Bang Bang et Burning) de la face A sont opposés des choses beaucoup plus lascives sur la face B(Collingwood et White Line), ressuscitant les fantômes de Tex Perkins (Beast of Bourbon) ou des frangins Corbett de Six Foot Hick . Les chœurs féminins réalisés par la triplette de Belleville locale présents sur les quatre morceaux sont toujours utilisés avec la justesse et la parcimonie nécessaires à ce genre de compos, l'équilibre idéal entre ce rock'n'roll crade sur les bords et la sensualité suave et délicate qui la contrebalance.
Une grosse surprise, du boulot parfait, on en redemande!

mercredi 14 avril 2010

KORNWOLF - Tristan Egolf


Kornwolf, Gallimard - 465 p.

Ce n’est plus un secret pour personne qu’Egolf s’est tiré une balle. Le type avait 34 ans, ça s’est passé à Lancaster le 7 mai 2005, chez lui, là où tout avait commencé, boucle bouclée. Egolf laissait une fille de neuf mois, et trois romans, ce Kornwolf étant le dernier. Le premier était un chef d’œuvre, Le seigneur des porcheries, sous titré Le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes. De la dynamite en barre sur six cents pages. C’était l’histoire de John Kaltenbrunner et de son patelin dénommé Baker, quelque part dans le Midwest, une terre de l’Amérique profonde particulièrement fertile pour tout ce que peut comporter de terriblement con et abject la nature humaine. Au choix: violence gratuite, alcoolisme viril de gros bourrins, racisme affiché et particulièrement vulgaire, foi religieuse éminemment zélée et vampirisante. Pour le coup, on se rapproche plus de l’animal, à un mec près, ce fameux John Kaltenbrunner, une figure vengeresse et christique -déjà- qui fera se noyer Baker sous les ordures, suite à la grève d’éboueurs dont il sera le leader. Tous ne peuvent et ne doivent que crever.
La plume est jouissive, le style ébouriffant, le ton corrosif, le final turgescent dans une vision de fin du monde grandiloquente et si justifiée, les naseaux des quatre cavaliers de l’Apocalypse vous brûlent la nuque à chaque page en même temps qu’ils vous refroidissent l’échine de frayeur comme d‘excitation. Le Seigneur des Porcheries est un grand roman, à l’humour omniprésent, la satire comme moteur, une rage teigneuse comme carrosserie. On se dit qu’avec Egolf un putain d’écrivain est né. Pas nécessairement le genre de type avec une vision, mais plutôt ceux dont le tranchant du regard sépare de ce monde avec précision et agilité le gras de la bonne viande, les mauvaises des bonnes parties, comme n’importe quel boucher. On se doit d’avoir l’œil. Et de quelle façon il l’a, cet œil, Egolf. Incisif, perçant, peu trouvent le salut, tous méritent leur sort.
Pour son deuxième roman, Jupons et violons, c’est pourtant nettement moins bon. Plus court, au contours plus flous, à la trajectoire moins précise, au propos moins net, ce livre déçoit et me reste particulièrement incompris. C’est l’histoire de Charlie Evans, violoniste talentueux qu’un concert catastrophique pousse à ranger ses archets pour finalement commencer une vie de déclassés qui l’amènera à fréquenter toute une faune des plus improbables dans un environnement urbain où la dégénérescence joue des coudes avec le désespoir qu’il engendre, dans un cercle vicieux pour lequel le style d’Egolf, pourtant en dessous du Seigneur des Porcheries ici, fait encore des merveilles et parvient à sauver le livre d’un scénario pour le moins « putain, il veut en venir où? »….
Dans ces conditions, Kornwolf laisse présager le pire ou le meilleur. Ce sera souvent le meilleur mais peut-être pas pour les raisons qu’on croît. Ce sera en tout cas, celui dans lequel se révèlera le plus Egolf, ne parvenant toujours pas, au bout de trois romans à exorciser ses démons, bien au contraire, il est le plus transparent même quand à la personnalité d’Egolf.
Kornwolf est pourtant un bon roman, pas aussi exceptionnel que le Seigneur des Porcheries, mais il en a hérité sa force, cette fois dans un univers où les frontières du fantastique sont franchies avec allégresse.
Kornwolf, c’est l’histoire d’Owen Brynmore qui retourne dans la Pennsylvannie de son enfance, le patelin s’appelle Stepford. Il trouve une gâche au journal local, le Stepford Daily Plea, un canard en complète décrépitude que Brynmore ramènera à la vie en obtenant la photo scoop d’un soi-disant loup-garou, ce putain de Démon de Blue Ball, une bestiole particulièrement énervée qui avait déjà causé des ravages dans le pays il y a des années et plus encore de cela. C’est comme si le Diable venait à nouveau de frapper à la porte de Stepford. Les ventes redécollent aussi vite que les inimitiés et jalousies en salle de réunion au journal qu‘elles engendrent, et la population, bien évidemment chez Egolf, n’étant qu’un ramassis de chiens de Pavlov, ne réagit qu’à des réflexes stimulés par la peur ou par le conditionnement, que cette race de clebs soit divisés en deux races ou non: soit les Habits Rouges, les gros sales beaufs ricain de base, les rednecks bien puants et bien sur de leur connerie, ou les Bataves, amish rigoristes, une autre version - en calèches -de l’abrutissement religieux particulièrement arriéré et zélé, dans le même ordre d’idée que les harpies évangélistes du Seigneur des Porcheries. Les deux mondes se côtoient, comme deux chiens qui se reniflent le trou du cul sans jamais vraiment aller plus loin. Tout le monde s’en porte bien.
Et puis il y a Ephraim Bontrager, un gosse bizarre, muet, un batave, un bâtard plutôt, qu’on tient à l’écart, dont on aimerait qu’il ne soit jamais venu au monde. Il commence à semer la merde en provoquant un énorme accident de la route en écoutant le Reign in Blood de Slayer, une cassette qu’il vient d’acheter au marché et qui sera comme la bande son du roman:
Mort lente
Vaste immense
Douches où vous devez laisser la vie
Forcés d’entrer
Comme du bétail
Privé de toute valeur
Rats humains pour l’Ange de la Mort.

Bontrager, celui par qui tout arrivera, celui par qui tout explosera. C’est un martyr, fils du pasteur Bontrager, une filiation pas très nette et assez embarrassante pour le leader des Bataves, c’est un fils qu’il faut cacher, c’est un fils qu’on maltraitera, c’est un fils qui sera pris en soin par Grizelda, une tante, mais c’est surtout un fils qui prendra sa revanche, c’est lui le Démon de Blue-Ball, c’est lui le loup-garou, Brynmore en est certain, son enquête, pointue et délicieuse au demeurant, le convainc de ces faits, il parviendra même à planifier les nuits de sorties de la bête, tandis que la population ne reste comme toujours chez Egolf qu’une grande masse imbécile que jamais rien ne sauvera.
Dans une écriture toujours aussi jouissive, dans un crescendo apocalyptique tout bonnement irrésistible, le verdict va éjaculer son suc hilarant et impitoyable. Restez chez vous, barricadé.
Oh que oui, le carnage est annoncé, le carnage aura lieu, le carnage n’épargnera personne. Personne.

Et c’est tout le problème. C’est tout le problème que les romans d’Egolf n’ont jamais résolu comme une décalcomanie des problèmes d’Egolf lui-même. Personne ne peut, personne ne doit être sauvé. Hormis ses (anti-)héros, martyrs à la souffrance presque christique (Kaltenbrunner ou Bontrager), quand bien même quelques-uns de ses personnages se démarquent de la bouillie grossière d’êtres humains qui composent la majorité de ses pages, ces derniers y passent aussi. Je pense autant à Grizelda qu’à la jeune petite Fannie, la seule dont émane sans calcul un peu de tendresse et de compassion pour Bontrager. Une balle perdue l‘emmènera. Evidemment. Rien, jamais rien ne permet aux personnages de mériter de devoir se sauver, de devoir être sauvés, comme toujours englués dans l’inconscience de leur grossièreté et de leur médiocrité. S’ils doivent l’être, s’ils méritent moralement de l’être, la bêtise du reste du troupeau les emportera. C’est terrible. C’est affreusement désespéré. Non, véritablement, malgré les cascades d’humour très noir, la plume la plus foisonnante de la dernière décennie, il n’y a pas d’espoir dans les romans d’Egolf, juste une rage tourbillonnante, torrentielle, fiévreuse et vengeresse contre un monde qui ne dira jamais assez sa bêtise. Il ne peut rester que ça, comme un dernier sursaut de vitalité, un dernier refus. Comme cette pyramide d’homme nus érigée lors d’une visite de George Bush pour protester contre les prisons d’Abou Grahib à laquelle Egolf participait avec des potes. Dérisoire et désarmant.
Dans Bartleby, Melville écrivait: « Il arrive souvent, en effet, qu’au contact des esprits étroits, les meilleurs résolutions des hommes les plus généreux s’érodent ». C’est bien sûr sans doute atrocement étouffant de se voir rogner de la sorte pour un esprit aussi affûté que celui d‘Egolf, de sentir que, malgré la véracité et la précision de son regard, la justesse de sa perception, de leur rendu romanesque ravageur, hé bien, toujours, la bêtise, la crasserie, et la veulerie l’emporteront. Ce n’est qu’une demi-surprise d’apprendre qu’il est sorti de l’écriture de ce livre visiblement épuisé, vraisemblablement autant par le travail qu’il a demandé -encore une fois Kornwolf est très très abouti-que par le constat moral des conclusions de ses livres.
Ce serait peut-être encore supportable si il y avait se raccrocher à quelque chose, la possibilité affective de ce quelque chose, mais même pas chez Egolf. Comme cette Fannie dans Kornwolf. Mais non. Dostoïevski disait que la plus grande des tortures était de ne plus pouvoir aimer. Finalement la conclusion des bouquins d‘Egolf pour qui cette impossibilité d’amour, de foi dans l’autre ne sait que se transformer en sèche et irrémédiable liquidation de ceux envers qui ces sentiments devraient ou pourraient se porter (quand ça ne donne pas un roman raté comme Jupons et Violons, où, présent, cet amour est comme une boule de feu avec laquelle Egolf ne sait que faire pour finalement abandonner l’histoire à une fadeur cendrée). Il ne fait absolument aucun doute qu’Egolf était bien trop intelligent pour ne pas voir l’impasse morale -et sans possibilité de demi-tour - qu’était sa vision de l’humanité, cette forme de torture qui consistait à ne plus croire en elle, dans ses capacités de bonté ‘’naturelle‘’. Il serait sans doute excessif de vouloir expliquer son suicide seulement par cet esprit désincarné et désenchanté qui se dégage de ses romans, mais une fois celui-ci si clairement présent, il ne fait pas moins de doute qu’il n’est pas ce sur quoi on peut s’appuyer pour tout simplement vivre.
Et pour quelles conséquences putain.