jeudi 20 mai 2010

Jerry Stahl – Mémoires des ténèbres


Jerry Stahl – Mémoires des ténèbres
13ème note - 463 p.


«Le 31 mars 1989, je me suis retrouvé dans les confins stériles des toilettes de la maternité à Cedars-Sinaï en train de m'injecter une mégadose d'héroïne mexicaine tandis qu'à une dizaine de mètres de là, ma fille se frayait un chemin le long des parois utérines de ma femme hurlante
L'homme qui vous écrit ceci n'est pourtant pas encore au fond du trou. Bien avancé dans sa chute certes, mais là, il tient encore à peu près la route. Mémoires des ténèbres relate la descente aux enfers de Jerry Stahl, scénariste miteux pour Alf quand il ne pige pas pour écrire les commentaires de photos de magazines porno. La vie rêvée quoi. Sans auto-complaisance aucune, mais avec un humour au vitriol qui suinte souvent de situations désespérantes dans lesquelles se fourre Stahl ou desquelles il tente de s'extirper (outre les relations professionnelles réellement hilarantes), Mémoires des Ténèbres ne laisse pas passer une page sans que vienne effleurer la question la plus évidente qui soit: comment ce type a pu s'en sortir?... Et surtout pour un type qui s'en est sorti, combien y ont laissé leur peau? C'est surtout ça qui marque, tant la faune de fantômes amaigris et désincarnés croisée par Stahl ne semble pas avoir plus de chance que lui de passer à travers les mailles du filet tressée par la dope. Il raconte le délabrement physique, la vie Jekyll vs Hyde qui finit par pencher totalement du côté obscur, cette partie de la populace la plus tordue que son addiction l'amène à rencontrer - dealers comme toxicos, la douleur de son addiction physique et morale, les trous noirs, l'arrivée de sa fille pour laquelle il veut décrocher par dessus-tout, les espoirs puis les rechutes en désintox' et l'espèce de miracle qui arrive lors d'une nuit des émeutes de LA qui le voit se faire sevrer sans vraiment le chercher...
Après ses dix années de défonce, Stahl dira de cette vie qu'elle a été passée à «réfuter le constat simple et agaçant que le fait d'être vivant signifie être conscient.» C'est dans ce sens qu'il n'hésite pas à employer le mot d'exorcisme pour qualifier ce livre, plutôt qu'œuvre de mémoire, et c'est effectivement ce qu'il est, cherchant à comprendre quels étaient les démons qu'ils essayait de faire taire avec la drogue, et comment il y est parvenu sans. L'écriture jouit d'une honnêteté, de tripes, et d'une âme même, à la hauteur de la tâche, détruisant sans fausse pudeur le glamour et la soi-disante coolitude de la défonce.
C'est comme ça qu'en toute fin de livre il dira: "Se shooter, c'est connaître une chaleur bienheureuse. Succès garanti. Mais le flash du papa... laisse tomber! Je n'ai jamais senti quelque chose d'aussi terrifiant! C'est d'une réalité telle que même le plaisir qu'on en prend te fend le cœur. Ce qui, à l'échelle universelle, fait une réelle différence entre l'amour de la drogue et celui de ta fille. L'héroïne peut te tuer, mais elle ne te fendra jamais le cœur. Pas comme un enfant.
Pas comme l'amour que tu peux porter à une enfant."

Sans aucun doute le bouquin le plus marquant et le plus convaincant sur la dope que j'ai jamais pu lire, le genre de livre qui me fait repenser immédiatement à la citation d'Hemigway selon laquelle certains hommes, la vie les brise et à l'endroit de la fracture, ils deviennent plus fort. Les autres, elle les tue. Stahl fait assurément partie des premiers.

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